WILLIAM ACIN
Des plis en godrons de crépon blanc, habillent de fraises liées à un passé révolu, des figures circulaires. Détaché de la roue, l’enjoliveur qui ne peut plus s’emballer à grande vitesse tourne alors en tête à collerette. Privé de sa fonction, vêtu des blanches circonvolutions de ce papier dévolu aux kermesses de cour d’écoles, des chars fleuris ou fêtes populaires, bricolé en « objet de pacotille » le voici convoqué ailleurs, y compris dans la tradition iconographique de l’Art. A plusieurs, groupés en nuées, ils sont alors Ange Oliver. En duo les voici ornement (à moins qu’il ne s’agisse de couronnes mortuaires) fixés sur les poteaux d’une station service désaffectée. Mais il peut être masque porté par son auteur qui se parant d’une nouvelle physionomie le temps d’une photographie, permet à William Acin, artiste plasticien, de poser en Enjoliveur :
« (..) Ce nom convient en général à tous ceux qui ajustent, parent, ornent ou enrichissent quelque ouvrage (…) » (Philippe Macquer, Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers, P. F. Didot jeune, 1773, t. 2, p. 124)
Il y a là comme un jeu avec la fonction de l’artiste voué à l’invention de beaux objets, ramené ici à un récupérateur des choses égarées sur les bords des routes dans l’indifférence générale. Quant à l’ornement, il est ici produit en un travail qu’une « petite main » n’aurait pas désavoué. Paupérisation volontaire des moyens qui vient à la fois contrer une société vouée à une course à la consommation obligatoire, faire un pied de nez au luxe déployé par certains artistes de ce siècle , et retourner comme un gant le XX° siècle naissant pour qui « L’ornement est un crime ».*
Travail qui se joue de la pièce industrielle, l’emporte en inutilité, pour lui affecter un sens sautillant, susceptible de dériver, selon les modes d’exposition.
Les techniques de travail de William Acin sont souvent liées à ce qu’on appelle aujourd’hui, les « loisirs créatifs », avec une prédilection pour la pyrogravure. La brûlure qui noircit les bois ou les papiers, inscrit motifs, maximes ou slogans revisités. A moins qu’il n’emploie la perceuse du bricoleur. Agressivité des outils qui opèrent par destruction mais avec assez de délicatesse pour former jusqu’à l’écriture. Ambigüité du choix des gestes pour un « beau » renvoyé à sa précarité.
Et ça tourne en roue d’« indi-li-gence » échouée au bord du chemin, vire en rondin de bois aux cernes marqués en lignes de vies associées à des mains tatouées. Ça peut grincer des dents ou faire un clin d’œil en euro, constitué d’iris bleus, de ceux qui protègent du mauvais œil en Turquie. Ça plastronne parfois en drapeau européen cravaté, en semblants d’armoiries ou faux blasons, artefacts des pouvoirs dénoncés.
Quelques propos, de ceux qui sont partagés communément, rengaines publicitaires parfois, sont réécrits pour un détournement du sens qui vient affecter les objets. A moins qu’ils ne se constituent en tableaux. La palette du peintre quant à elle s’est couverte en lieu et place des quelques traces de couleurs, des outils des logiciels d’images informatiques, comme un renvoi en anachronisme qui peut être pris pour une nostalgie.
Les rencontres avec un lieu, avec une actualité, avec un objet, avec un slogan publicitaire, avec une marque, une petite phrase ordinaire provoquent pour William Acin le faire œuvre. Elles sont autant d’opportunités pour des confrontations où ce qui tombe sous le sens ordinairement, est voué à la dérive, au dérèglement. Et ça s’enchaine, passe du coq à l’âne, incongruité volontaire, d’un plasticien qui s’autorise de « faire la bête » pour mieux chercher l’ « Ange » peut-être grimaçant, artiste de ce siècle incertain.
Claire Paries.
* Adolf Loos
LUCIE BAYENS
Des vêtements cousus main et conservés au sel, un tas de bois, des maximes au mur : à première vue des objets disparates mais qui ont en commun une certaine vulnérabilité.
Les bois qui ont perdu leur écorce sont ces bois flottés, roulés, lavés, essorés, par les eaux des rivières, fleuves et océan et qui ont échoué sur les plages. Arbres déchus, frottés ainsi à la vitalité des eaux, ils semblent comme dénudés jusqu’à l’os. Formes aussi organiques que celles produites à partir des peaux ou viscères d’animaux dépecés, consommés sans doute. Epidermes qui ne sont pas sans évoquer ces cours des fermes où on élève les canards gras et où on tue encore le cochon. Des objets qui ont été tous constitués de la perte, l’altération voire la mort.
Les bois, comme des ossements sont mis en tas pour un titre féminisé : Charnièr-e qui vient évoquer de manière qui se veut peut être distraite les horreurs de la guerre. Charnière qui est jointure, articulation pour une dérive du sens qui puisse installer un entre-deux. Le bout de bois échoué va se déplacer vers le fusil ou le pistolet brandi, substitut des petits garçons qui permet de se tirer de tous les embarras de ce monde dans lequel il faut bien grandir. Et ce parce que c’est avec la délicatesse d’une fille qui s’approprie les armes de l’enfance que Lucie Bayens a gravé patiemment sur les morceaux de bois, des fusils d’assaut, des armes à feu, en figurines patientes comme les petits points d’un ouvrage de dame. Signes noirs, brûlures de la pyrogravure pour « faire feu de tout bois », utiliser ce qui vient, ce qui se trouve là et engager un dialogue complexe avec la vie actuelle.
Récolter, trier, laver, sécher, traiter pour conserver, puis assembler, coudre ou tamponner d’encre des peaux pour quelques mots échangés ou pour un vêtement réinventé sont autant des gestes de l’artiste.
Les messages sont sibyllins, injonction ou affirmation répétée sur ces corps plats et minces d’enseignes aux formats et contours sensibles dont on a envie de dire qu’ils n’ont que la peau sur les os. Messages proposés comme des « os à ronger » qui ne sont pas sans évoquer du coup la consommation de la chair. A dévorer du regard entre amour et cannibalisme.
Les vêtements sont pour les pieds ou les mains, moufles, bottes ou chaussons, à moins qu’ils ne viennent couvrir des objets choisis. Les peaux de canards gras épaisses, cousues de laine, constituent des carapaces souples protectrices des extrémités des corps qui ainsi couvertes seraient alors empêtrées, immobilisées par la graisse trop enveloppante, privées à la fois de la marche et du faire, en devenir objet, corps chosifiés que le sel nécessaire à la conservation achèverait de statufier.
Lucie Bayens se décrit elle-même comme une « glaneuse » : une femme qui se penche vers le sol, attentive, à l’affût, pour une récolte de ce qui oublié ou rejeté pourrait se perdre définitivement. Et d’un lieu à l’autre, elle déambule, flâne, vagabonde pour récolter et amasser. Ce qui la rapproche aussi de la figure du « chiffonnier » :
« Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un triage, un choix intelligent ; il ramasse comme on avale un trésor, les ordures qui remâchées par la divinité de l’industrie, deviendront des objets d’utilité ou de jouissance. » Robert Walser dans la Promenade. Cité par Thierry Davila dans Errare humanum est (remarques sur quelques marcheurs du XX° siècle). Les figures de la marche.
Claire Paries
|